Influences

La cuisine est sans doute ce qui nous lie le plus profondément à notre culture. Les goûts, les odeurs que l’on connaît depuis notre enfance nous ancre dans la culture dans laquelle nous sommes inscrit. Lorsque, pour un temps ou pour toujours, pour répondre à un désir, un besoin ou par contrainte l’on quitte sa terre natal pour vivre ailleurs, la nostalgie de ce que l’on a quitté se manifeste souvent par le goût. Ailleurs, on peut être heureux, vivre une vie qui correspond à nos aspirations, partager des choses extraordinaires avec des gens, cela n’empêchera pas que, tout à coup, on puisse être prit du désir subit et impératif de retrouver une saveur aimée… le goût du pain par exemple et pas n’importe quel pain, celui avec lequel on a grandi. La mémoire nous restitue avec une fidélité absolue sa forme, sa couleur, la densité de sa mie,  la texture de sa croûte, son odeur… Il me semble que c’est Tanizaki, dans “Eloge de l’Ombre” qui parle de l’odeur du riz fraîchement cuit le matin comme quelque chose qui appartient profondément à l’âme japonaise.
Il m’a toujours semblé évident que goûter la cuisine de  l’autre, au-delà de tous les discours est peut-être ce qui permets le plus instinctivement et le plus directement d’intégrer un peu de sa culture. L’ expérience est physique, immédiate. Et, si l’on part de l’idée que “l’on devient ce que l’on mange” on ferait donc sien un peu de cette culture. Y a t-il du vrai là dedans, je n’en sais rien, mais l’idée me plaît et tout cas.
Quoi qu’il en soit, la cuisine a toujours été pour moi une forme de voyage. Je demandais aux gens qui partaient de me ramener des épices et si possible des recettes, je fouillais dans des livres, je cherchais, je questionnais, j’expérimentais et j’apprenais a réaliser des plats de tous les continents. Je faisais de « l’ethno cuisine” en collectant les recettes les plus authentiques possible et en les cuisinant souvent à la lettre. J’ai aussi voyagé dans le temps et me suis intéressé au voyage des plantes, des épices mais aussi des légumes pour découvrir que la tomate et la pomme-de-terre viennent du Pérou, l’aubergine, le basilic, d’Inde, le poivron d’Amérique du Sud, le maïs du Mexique, le potimarron d’Argentine et d’Uruguay, le concombre de l’Himalaya, les agrumes de Chine, l’ail des steppes kirghizes, les pois chiches du proche orient, l’oignon et l’épinard de Perse, la carotte d’Afghanistan et que la fève est l’une des plus vieille plante cultivée par l’homme et semble venir d’Iran. De tout temps les hommes ont transportés des graines et les ont cultivés.

Quelles sont les cuisines authentiques? Qu’est-ce que l’on peut véritablement appelé un “produit du terroir”? D’une certaine manière je suis attachée à cette idée, il y a des savoir-faire qui se sont développés dans certaines régions en complicités et en harmonie avec  un lieu, son climat, son contexte particulier. Savoir-faire qui sont à protéger parce qu’ils appartiennent à une “biodiversité culturelle” qu’il est essentiel de ne pas noyer dans des modes de productions standardisés. Par ailleurs, que veut dire “produit du terroir” alors que la cuisine a toujours été vivante, elle se transforme et se métisse naturellement.
J’aimerais, à ce propos, vous raconter une très belle histoire… il est un artiste-apiculteur du nom d’Olivier Darné qui pose des ruches en ville, dans des cités. Ces abeilles pollinisent la ville et font du “Miel béton”. Olivier Darné a posé ces ruchent à Saint-Denis, dans les quartiers nord de Marseille, à Genève et ailleurs. Il a présenté ce miel dans des concours et à gagné des prix. Son miel est de toute évidence excellent, avec des aveurs complexes. Pour comprendre et connaître les propriétés de ce miel urbain il l’a fait analysé pour découvrir qu’il était d’une très grande richesse. Il réunit une variété de pollens bien plus grande que dans des régions de campagne qui semblent préservées. Pourquoi? parce qu’en ville, les gens transportent des graines sous leur pieds et d’une grande variété dans les quartiers où les cultures se mélangent. Il y a des friches, des graines venues d’ailleurs, des balcons. Dans les campagnes les champs sont traités ce qui limite le nombre des espèces, en ville elles poussent plus librement. Ce miel, n’est pas issus d’une tradition pourtant il est bien un “produit du terroir”.

Avez-vous déjà vu Latcho Drom, un film magnifique de Tony Gatlif où il raconte de voyage de la musique Rom du Radjastan à l’Espagne en passant par l’Egypte, la Turquie, la Roumanie, la Hongrie, la Slovaquie et la France. A travers se film on entend le voyage de la musique, elle glisse et se fond dans les paysages traversés, s’imprégne de la route et des cultures rencontrées, comme si à chaque pas elle se transformait un peu.
La musique est vivante, la cuisine aussi, toujours les hommes ont marchés et avec eux la cuisine c’est métissée. Du Radjastan à l’Espagne la cuisine glisse elle aussi d’une culture à l’autre. Plus proche de nous, il suffit de regarder les cuisines méditerranéennes. Il y a des constantes comme l’olive, la viande, le lait ou le fromage de chèvre ou d’agneau et, entre autres légumes, l’aubergine, l’ail et l’oignon, une culture commune évidente. Mais aussi des cultures, qui se fondent et se déclinent dans des subtilités et des richesses infinies. De l’Asie Centrale aux rives de la Méditerranée l’on perçoit encore les  mouvements issus de l’ancien Empire Ottoman. De la Croatie au Maroc, on peut rêver autour de toutes les déclinaisons en feuilles de brick et pâtes filo, ou encore de boulettes de viandes qui changent de noms et se chargent d’épices différentes. De la Turquie à l’Afrique du Nord on pensera aux raisins secs, à la pistache, l’amande, la fleur d’oranger, le sésame et les pois chiches.  Lorsque l’on pense à l’aire géographique du couscous et du Ras-el-hanout, Marseille vient aussi à l’esprit. D’autres déclinaisons apparaissent encore tels les mezzés-antipasti-tapas ou l’arak-raki-ouzo-pastis.
A n’en pas douter la cuisine est culture, la cuisine est voyage…

J’ai toujours été fascinée aussi l’ingéniosité et le savoir faire développé au fil du temps. Le levain par exemple ou l’ensemble des recettes  qui utilisent les levures et fermentations. La richesse et l’inventivité des Hommes pour décliner à l’infini des plats à partir des produits les plus simples est fabuleuse. Ou encore toutes les recettes développées avec des produits peu nombreux et presque identiques au départ, pensons par exemple à la richesse et à la diversité des fromages, c’est tout simplement inouï. Une grande leçon de cuisine m’a aussi été donnée par le fait de n’avoir que très peu d’argent. Etudiante déjà, j’aimais cuisiner et inviter des amis et je me suis rendue compte qu’un peu d’imagination et le fait d’accepter de prendre du temps pour cuisiner compensait largement le fait d’être dans l’impossibilité d’acheter des produits chers. C’était souvent la fête chez moi et j’ai acquis rapidement une réputation de “bonne cuisinière” alors que j’avais l’impression d’une certaine manière de bluffer, tant m cuisine jouait avec peu. J’habite en ville aujourd’hui mais, pendant près de 15 ans j’avais un jardin et je pense que c’est le travail de la terre qui m’a enseigné que simplicité peu parfaitement rimer avec noblesse. Il y a, à ce propos,  une expression que j’aime beaucoup et qui sonne à mes oreilles comme des mots magiques “Le jardin des simples”, le jardin de ces plantes locales et simples qui ont pourtant l’immense pouvoir d’être capables de guérir. Des plantes auprès desquelles on peut passer sans rien voir ou en les nommant « mauvaises herbes », d’ailleurs, un œil averti reconnait des « simples » en milieu urbain, les abeilles ne l’ignore d’ailleurs pas.

Aujourd’hui, je continue a chercher des recettes et des savoir-faire réalisé avec des produits simples, très simples même, j’utilise parfois quelques « mavaises herbes » ou les légumes entier en travaillant les fanes. Vous trouverez très peu de recettes de viande ou de poisson, je continue à cuisiner l’un et l’autre mais je n’en consomme plus. Notre culture est liée à la consomation de viande et c’est habituée à manger des produits de la mer aussi, par respect pour les gens qui n’ont pas fait les mêmes choix que moi je continue à en cuisiner en essayant d’acheter de la viande et du poisson éthiquement acceptable. Mais j’aime avant tout cuisiner le végétal et j’essaie de le faire de manière gaie et festive.  Je ne milite pas contre la viande ou la surpêche mais j’essaie de composer des repas où les gens ont du plaisir à manger, où ils font des découvertes et ne se sentent pas frustrés par l’absence de viande ou de poisson.  Comme je le disais, notre culture est liée à la viande, nous descendons de peuples de chasseurs, mais je pense que nous sommes trop nombreux sur cette terre pour nous permettre de continuer à manger de la viande dans de telles quantités sans dommage pour la planète.  Je pense qu’il est inutile de faire des commentaires sur les usines à viandes et les pêcheries intensives, tout carnivore qui, un jour ou l’autre, tombe sur un reportage sur les pratiques qui permettent aux étales de nos super marchés d’être si bien fournis n’avale plus son steak avec le même plaisir innocent et à tendance à avoir une arrête légèrement coïncée au travers de la gorge.

Aussi, j’aime que les gens puissent apprécier la cuisine végétarienne et se rendre compte par l’expérience qu’il est possible de manger moins de viande sans pour autant tomber en dépression. La cuisine est une chose, mais pour qu’elle soit savoureuse il est essentiel de travailler avec des produits de qualités et le bio n’est pas la règle absolue. Préparer des légumes bio d’été en plein hiver qui ont poussés dans des serres chauffées ou proviennent de l’autre bout de la planète est un non sens absolu. Il s’agit avant tout d’apprendre à connaître les produits locaux et de saison et de varier les modes de préparations. Il peut être tantant d’acheter des tomates en janvier pour échaper un peu aux légumes racines. Pourtant la salade faite de ces magnifiques tomates rouge sera bien décevante. Il n’y a pas de miracle, pour supporter le long voyage qu’elle a du faire notre pauvre tomate a été cueillie avant maturité et il faudra avoir les papilles bien développées pour pouvoir lui trouver le pâle reflet du parfum d’une tomate achetée en août au marché. J’utilise passablement de produits biologiques dans ma cuisine parce que la gamme des légumineuses ou des farines, pour ne prendre que ces exemples, est incomparablement plus riche que celle proposée en grande surface. De plus, il y a des maraîchers, ici à Fribourg en tout cas, qui ont l’amour de leur métier, qui vont à la recherche de légumes oubliés et qui proposent, même au creux de l’hiver une diversité tout à fait remarquable. A côté de cela il est surtout question de bon sens, je préfère de loin acheter un bon vieux gruyère affiné dans toutes les règles de l’art par une fromager attentif qu’une gomme estempillée biologique dont on repère à l’œil le manque de saveur. Pour ce qui est de la viande, bio ou non, je pense qu’il est essentiel de priviligier celle qui provient d’élevages locaux et où l’animal a pu vivre une vie correspondant à ces besoins essentiel. C’est-à-dire des vaches, cochons ou poulets qui savent ce qu’est la nuit et ce qu’est le jour, qui ont respirés l’air extérieur et posés leurs pattes sur de la vraie terre  et qui se sont nourrit d’une alimentation digne de leur espèce. A mon sens, des filets de bœuf du Brésil, provenant comme on le sait de bêtes élevés sur des terres où, il y a peu s’étendait encore la forêt amazonienne n’ont rien à faire dans nos assiettes.

J’écris tout cela et pourtant je sais qu’il est pratiquement impossible d’être cohérent. J’ai des convictions et j’essaie de tendre vers… mais je peux facilement être prise en « flagrant délit » de contradiction. Parfois c’est mon porte-monnaie qui me pousse à un choix avec lequel je ne suis pas en accord. D’autres fois, je ne suis tout simplemnet pas prête à assumer jusqu’au bout. Par exemple, lorsque, dans la seconde partie de l’hiver il devient impossible de trouver de l’ail local… je me rabat sur ce que je trouve, jamais je n’ai été capable d’attendre avec sagesse et patience le retour de la saison. Et puis, si je fais relativement attention aux produits frais, pour le reste… mes épices viennent des 4 coins du monde et j’en ai beaucoup! Je n’achète pas de vin d’outre mer, par contre je suis une grande consomatrice de riz et pas uniquement de risotto de la plaine du Pô… j’aime le quinoa, les petits haricots noirs du Brésil et le lait de noix de coco…

Entre ces différentes visions, entre l’ici et l’ailleurs, ma cuisine bouge elle aussi et avec le temps se métisse toujours d’avantage simplement aussi parce que je puise toujours plus dans mes ressources personnelles, je cuisine plus librement, je combine,  j’explore, je joue, je m’amuse et j’ouvre même un blog… Je ne sais d’ailleurs pas si c’est une très bonne idée. Peut-être oui, parce que des gens me demande de partager, de donner mes recettes et que ça me fait plaisir de transmettre un peu de ce que  j’ai glané ici et là.  Je le fait d’ailleurs depuis longtemps, mais maintenant, au lieu d’adresser une recette à une personne, je les dépose sur ce blog et je file l’adresse. Pourtant, je doute d’être une très bonne pédagogue dans la mesure où pour moi il n’y a généralement plus « Une » manière de réaliser un plat. Je vois plutôt un plat comme une palette de couleurs qui se joue dans telle ou telle gamme. A partir de là laisse une place à l’improvisation et à l’humeur du moment. Alors voilà, j’espère que vous aurez du plaisir à jouer sur la base de ces indications parfois un peu floues, pour prendre la balle au bond et jongler dans des formes qui vous seront propres.

Sans mentions de sources extérieures, les recettes publiées dans ce blog le sont sous licence “Creative Commons”. La cuisine n’est qu’un mélange d’influences de savoir puisés dans ce que d’autres ont laissés, la cuisine est culture, liens, partage, voyage. Si je mets en forme quelque chose à un moment donné c’est évidement pour nourrir dans tous les sens du terme. La cuisine est libre, on ne peu ni la retenir, ni l’enfermer.